L'interview | Shirin Heidari
Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif? |
GENDRO est issu d'une préoccupation commune par rapport aux biais de genre et à l'écart homme-femme constatés dans la recherche, qui ont pour conséquence la production de savoirs à la fois fragmentés et lacunaires. Bien que cet écart désavantage particulièrement les femmes et les personnes qui ne se conforment pas aux normes de genre, il est important de souligner qu'il a parfois aussi un impact négatif sur les hommes.
Notre objectif est simple : nous pensons qu'il est essentiel de prendre en compte l'influence du genre et du sexe dans la création de savoirs visant à améliorer et faire progresser nos sociétés, que ce soit dans le domaine de la recherche, de l'analyse politique ou de l'évaluation de programmes. Le genre et le sexe interagissent de façon importante avec les autres dimensions qui influencent notre identité et notre vision du monde, notamment l'âge, la race, l'origine ethnique, le handicap, le statut migratoire, l'orientation sexuelle et l'identité de genre.
En collaboration avec nos partenaires, nous cherchons à sensibiliser à cette problématique, renforcer les capacités, générer des données et mener des actions de plaidoyer pour la recherche et la production de savoirs sous toutes ses formes, dans le but de développer des solutions plus équitables qui tiennent compte des différences de genre et de sexe.
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Vu l'ampleur de notre mission, nous travaillons avec de nombreux partenaires dans des domaines très variés. D'abord les chercheurs, avec qui nous collaborons directement pour collecter des données, développer des capacités et proposer des changements de type systémique.
En deuxième lieu, les ONG et les organisations internationales, qui sont des partenaires intéressants car elles produisent et utilisent beaucoup de données. Nous avons ainsi deux fois plus de chances d'avoir un impact : d'une part en sensibilisant les organisations à la présence d’un écart homme-femme dans leurs activités de recherche, et d'autre part en créant des opportunités pour s'attaquer ensemble aux biais de genre au sein de l’organisation ou du secteur concernés.
Nous collaborons également avec les États Membres et les missions permanentes pour les sensibiliser à l'importance d'intégrer la question du genre lors de négociations multilatérales. À titre d'exemple, nous avons défendu l'intégration du genre à l'accord sur la riposte aux pandémies, en cours de négociation.
Finalement, le secteur privé, plus particulièrement les entreprises pharmaceutiques et de diagnostic, est très actif dans le domaine de la recherche. Si nous pouvions les inciter à être plus attentifs aux questions de genre et de sexe lors du développement de médicaments, de vaccins ou d’outils de diagnostic, cela changerait vraiment la donne.
Comme vous pouvez le constater, nos partenaires sont très diversifiés. Tous contribuent à leur manière à la réalisation de nos objectifs.
Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité? |
C'est une vraie chance pour nous d'être présents dans la capitale de la santé mondiale et des organisations internationales. Cela nous permet d’établir des liens solides avec de nombreux acteurs représentés ici, dont les États Membres, de mettre sur pied facilement des projets collaboratifs et de créer un mouvement de fond qui amplifie nos efforts et, potentiellement, notre impact. Nous profitons aussi des nombreux événements et réunions organisés à Genève pour échanger et établir des partenariats avec des acteurs venus du monde entier.
L'une des faiblesses que nous avons identifiées dès le début, c'est le manque de lieux ou de plateformes de collaboration pour les organisations œuvrant pour l’égalité et l’intégration du genre, en particulier dans le domaine de la santé mondiale. Nous avons rapidement constaté que les experts genre travaillent souvent en silo au niveau de leur organisation et manquent de temps et de ressources. Cette situation n’est pas idéale, mais ce qui nous a surtout frappées, c'est que tous sont confrontés aux mêmes difficultés. Ce constat a motivé la création du réseau "Gender, Health and Evidence" de GENDRO.
Initialement, nous imaginions que ce réseau servirait à faciliter des rencontres en personne entre spécialistes actifs à Genève dans les domaines croisés du genre, de la production de données et de la santé. Le passage aux réunions virtuelles lors de la pandémie de COVID-19 nous a permis d’élargir ce réseau au monde entier. Ce tournant a été très positif, car notre ambition a toujours été d’avoir un impact à l’échelle internationale et de collaborer avec des partenaires au-delà de Genève. Ce fut aussi une excellente occasion de créer des liens avec de nombreux acteurs suisses, ce qui a en partie motivé la fondation par GENDRO et Concept Foundation de la Swiss Women's Health Alliance (SWHA), que nous coprésidons.
A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans? |
À l'avenir, j'aimerais voir une gouvernance mondiale plus féministe et plus diversifiée, inclusive, participative et proactive, qui œuvrerait pour un monde juste et équitable et qui redéfinirait les règles du jeu afin d’éliminer les inégalités de pouvoir que prévalent actuellement dans la prise de décisions.
Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose? Et qu'est-ce qui vous empêche de dormir la nuit ? |
J’aurais aimé qu’on me demande : « Quel est votre moteur ? » Je suis persuadée que le changement est possible. Nous avons une obligation morale de contribuer à changer les choses. Chaque petit pas dans la bonne direction compte ! Ensemble, nous pouvons avoir un vrai impact. Genève nous offre l'opportunité unique et privilégiée de construire des liens forts, de créer un mouvement et de provoquer des transformations qui, je l’espère, auront un impact à l’échelle mondiale. Nous devons utiliser ce levier pour construire un monde plus juste, plus équitable et plus inclusif.