Entretien avec Arancha González, Directrice exécutive du Centre du commerce international (ITC) | Décembre 2013

Après avoir occupé de 2005 à 2013 le poste de cheffe de cabinet de Pascal Lamy, directeur général de l'Organisation Mondiale du Commerce, l'Espagnole Arancha González a été nommée à la tête du Centre du commerce international (ITC) par le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, le 15 août dernier. L'ITC est une organisation internationale dont le but est le développement de petites et moyennes entreprises dans les pays du Sud.

Rencontre avec Arancha González dans ses locaux du quartier genevois de Montbrillant.

Décembre 2013

 

Quelle est votre relation à Genève ?

Je me sens très bien à Genève. La ville allie local et international, le lac n'est pas très différent de la mer Cantabrique qui baigne ma région d'origine, vers San Sebastian, au pays basque. Dans ma carrière, j'ai navigué du pur local au global, en passant par le régional. Venant d'une région rurale et montagnarde, j'ai transité par les universités espagnoles de Navarre et de Madrid avant de travailler à Bruxelles, dans le service public européen. Et, enfin, je me suis installée à Genève d'où j'ai une vision globale des enjeux internationaux.

Le fossé entre la Genève internationale et les Genevois est à mon avis un cliché, c'est un peu comme le clivage rive droite- rive gauche ou Pâquis-Genthod. La société suisse n'est pas forcément facile à intégrer. C'est comme chez les Belges, ils ont leurs codes et c'est normal. Mais les expatriés eux aussi sont victimes de leurs réflexes communautaires, c'est une tendance qui relève de la logique générale de la société humaine.

Bruxelles pourrait donner une image de ville internationale mais c'est européen avant tout. Genève est bien plus cosmopolite. Je l'ai compris quand je suis arrivée au Conseil Général de l'OMC et que j'ai vu tous ces pays, ces couleurs, ces vêtements, tous ces gens d'origine différente. Certes, à Bruxelles je côtoyais des Luxembourgeois ou des Finlandais mais là, c'était des Burkinabés ou des Chinois !

Quel a été votre parcours avant de diriger l'ITC ?

J'ai d'abord travaillé dans le privé, pour une grande étude d'avocats allemande à Bruxelles, dans le domaine du conseil aux sociétés. Je m'occupais surtout de droit commercial, de commerce international et d'aides publiques. Il y avait à l'époque beaucoup de liens entre l'Allemagne et l'Espagne pour cause d'achat de sociétés espagnoles par des Allemands (VW- SEAT), ou de fusions d'entreprises. Je suis donc entrée de plain-pied dans la réalité économique, en me familiarisant avec les mécanismes des marchés et le monde de l'entreprise.

Puis, j'ai passé cinq ans à la Commission européenne dans le domaine de l'anti dumping. J'ai bien bougé dans le monde des entreprise et de l'économie en sillonnant l'Europe des industries. En 2002, je suis devenue porte-parole de Pascal Lamy, alors commissaire européen au commerce au sein de l'Union européeene. Il voulait une personne du sud de l'Europe. J'ai donc découvert l'univers des médias, c'était carrément un nouveau monde qui s'ouvrait! Un détour amusant qui m'a montré le pouvoir d'une bonne histoire et celui qu'on a en la partageant. J'ai appris comment on pouvait façonner l'opinion publique à travers les médias. C'était l'époque du contentieux Boeing, des problèmes liés à l'acier, de boeuf aux hormones, il y avait beaucoup de mouvement.

J'ai aussi travaillé comme conseillère à l'Union européenne pendant la période de négociations liées à l'économie iranienne, sous Khatami, et aux accords commerciaux avec l'Amérique latine. En travaillant pour l'Europe, je dois dire que j'ai beaucoup appris. Je suis fille d'enseignants donc j'aime la pédagogie...

Comment avez-vous atterri à Genève ?

Quand Pascal Lamy a été nommé à l'OMC, il m'a demandé si j'acceptais d'être sa cheffe de cabinet. J'avais dû aller trois fois à Genève dans ma vie, une fois pour un contentieux et deux fois en accompagnant Pascal Lamy quand il était commissaire européen. Jamais cela ne m'avait traversé l'idée que j'y habiterais!

Le 1er septembre 2005, j'ai pris mes fonctions à l'OMC. Je me souviens très bien que j'ai fait le voyage de Bruxelles à Genève en voiture la veille et je me demandais ce que je venais faire à Genève. Mais comme j'avais beaucoup apprécié de travailler avec Pascal Lamy, je n'allais pas rater une telle opportunité !

Que pensez-vous des clichés souvent relayés sur l'ONU ?

Je crois profondément au secteur public et c'est faux de dire que ce n'est que lenteur, inefficacité et bureaucratie. Il peut aussi être rapide, de qualité et efficace. Je suis passée du privé au public donc je connais les deux secteurs. Je n'accepte pas qu'on dise que le public est ringard, c'est une question d'attitude. On gère l'argent des autres, donc qu'il y ait des contrôles et des règles, c'est normal.

En quoi consiste l'action de l'ITC ?

L'ITC est un petit bijou très caché, voire trop. C'est très dommage, il mérite plus de visibilité. C'est une organisation qui fait un travail incroyable qui a une vocation universelle, une volonté de travailler avec tous les pays.

Je dirais que l'ITC fait le lien entre politique commerciale et terrain. Nous travaillons comme une agence de développement qui promeut les petites et moyennes entreprises (PME) du Sud. Nous ne sommes ni chargés de la régulation du commerce, comme l'OMC, ni un think tank, comme la CNUCED.

Nous utilisons les fonds publics pour accroître la compétitivité et le volume d'exportations des PME des pays en voie de développement. 50% de notre action concerne l'Afrique sub-saharienne. Pour ce faire, nous mettons à disposition des outils d'intelligence des marchés, des informations sur les procédures, les certificats, etc. pour aider les entreprises du sud à mieux saisir les opportunités commerciales. Nous aidons à la promotion via les chambres de commerce locales. Nous travaillons à améliorer la compétitivité des PME du Sud.

Avez-vous des exemples concrets d'impact sur le terrain ?

Exporter de la mangue du Mali en Suisse est une bonne idée à la base, mais comment la réaliser ? Nous aidons les bonnes idées à devenir réalité. Dans des pays comme le Kenya, le Ghana, Haïti ou le Burkina Faso, nous formons les femmes à devenir entrepreneurs. En les appuyant pour la capacitation, la comptabilité, les impôts, etc. C'est une manière de créer des micro entrepreneurs. Puis, nous les introduisons dans des marchés via des marques ou des créateurs comme Stella Mac Cartney ou Vivian Westwood pour parler du milieu de la mode où l'ITC est connu grâce à nos projets pilotes liés aux femmes et à la mode éthique.

Autre exemple : en Ethiopie, nous avons deux projets concernant le cuir. 25 % des peaux proviennent d'Afrique mais seulement 12% du cuir est issu de ce continent. Donc comment passe-t-on de 25 à 12% ? Eh bien, il se trouve que 13% des peaux restent dans des communautés isolées car celles-ci ont une manière d'abattre les animaux qui rend les peaux inutilisables. Et en termes de produit fini, seul 3% du profit reste en Afrique. Il existe donc un sacré potentiel de développement.

En fait, l'ITC agit pour le développement grâce au commerce ?

Ce que je veux que les gens comprennent, c'est que créer une classe entrepreneuriale à l'aide d'une intervention publique ce n'est pas de la charité. C'est de l' «economic empowerment», une interface entre la création du sud et le marché du nord, et de plus en plus celui du sud aussi, d'ailleurs. C'est-à-dire faire d'une bonne idée développée au sud une activité industrielle qui permette d'augmenter la croissance et de réduire la pauvreté.

Notre mission découle des objectifs de l'Agenda du développement 2015 sur le commerce et la croissance. Nous entendons développer les PME pour augmenter la croissance et l'emploi, et donc réduire la pauvreté. La question que se pose l'ITC est : quels sont les besoins des pays bénéficiaires ? Ils sont détectés via le dialogue avec les gouvernements et les acteurs locaux.

L'ITC est complémentaire de la micro-finance, nous fournissons des outils mais pas de financements. Je crois aux plateformes, lieu d'échange entre entrepreneurs et multinationales.

Quelles sont vos priorités comme directrice exécutive ?

J'arrive dans une organisation qui possède déjà une histoire riche de 50 ans d'activités et d'expertise, c'est un acquis non négligeable! Je n'entends donc pas faire la révolution. Le défi qui se présente à moi est d'ajuster l'offre à une demande croissante.

Je pense que les PME du sud sont une source de croissance qui n'est pas assez exploitée. Il faut innover dans le type de solutions, développer des PME dans le domaine des services, par exemple. L'une des pistes est d'augmenter les partenariats avec les pays émergents et avec le secteur privé. Il s'agit de repérer les entreprises du sud qui peuvent intéresser les entrepreneurs et acheteurs du nord, et vice versa.

J'aimerais aussi accroître la visibilité de l'ITC, donner la parole aux bénéficiaires. Expliquer notre activité grâce à l'histoire des gens, leur réalité sur le terrain. Car je pense vraiment qu'il est possible de transformer des traditions en activité et en production économiques, l'exemple de la mode éthique le prouve. Les entrepreneurs sont les acteurs de demain, ils ont un pouvoir de transformation de leur vie grâce à une meilleure connaissance du marché. Et cela, il faut savoir le communiquer.

L'un de vos objectifs est de renforcer les liens avec le secteur privé. Pourquoi ?

Nos bailleurs de fonds sont les Etats. Et leurs budgets sont sous pression. Il nous faut donc davantage savoir démontrer l'impact de ce que nous faisons. Et parler de commerce passe forcément par le secteur privé. L'ITC a développé une grande expertise avec le secteur privé. Environ 300 personnes s'y emploient au bureau de Genève. C'est un secteur qui croit par définition à l'investissement. Créer des marchés, c'est leur philosophie et ce n'est donc pas une histoire de charité ni de philanthropie. Depuis quelque temps, on observe l'essor de la « corporate social responsability » que l'on appelle parfois la bonne conscience des entreprises. Je suis très pragmatique : peu importe la motivation, c'est la contribution qui compte. Dans le monde des entreprises, il se passe de nombreuses choses que l'on ne voit pas forcément, que ce soit chez Zara, chez Danone, il y a des efforts de solidarité, des projets concrets d'aide au développement. Par exemple, la Fondation Quatar qui nous offre des canaux de vente pour des bijoux produits en Jordanie avec notre soutien.

Je pense que conscientiser le secteur privé par rapport aux opportunités au Sud fait monter le niveau partout. Le secteur privé en Suisse est un terrain que l'on peut encore sensibiliser davantage aux enjeux commerciaux du sud et je vais m'y employer.

 

Cécile Aubert 

 

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