Entretien avec Christian Friis Bach, Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe | Septembre 2014
Septembre 2014
Christian Friis Bach a été nommé cet été Secrétaire exécutif de la Commission économique des Nations Unies pour l’Europe (CEE-ONU). Il nous accueille dans son bureau du Palais des Nations et partage sa vision de l'organisation et de la Genève internationale.
Comment êtes-vous arrivé à la tête de la Commission économique pour l'Europe?
Depuis le collège, je me suis intéressé aux questions internationales, que ce soit comme professeur, militant, journaliste, homme d'affaires et même agriculteur (ce que je suis toujours!). C'est donc tout à fait logique pour moi de m'installer à Genève, la capitale internationale de l'Europe, et de faire partie de la grande famille des Nations Unies. Lorsque j'étais ministre, j'ai tissé une bonne relation avec le Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, et j'ai toujours eu un grand respect pour les Nations Unies. Lorsque j'ai été approché pour la position de Secrétaire exécutif de la CEE-ONU, j'ai été ravi d'accepter. J'ai une grande expertise dans les domaines que traite la CEE-ONU, que ce soit le commerce, l'agriculture ou les questions énergétiques ou environnementales et je pense que je peux aider cette organisation à poursuivre son développement.
Quelles seront vos priorités?
L'une de mes priorités sera de faire mieux connaître la CEE-ONU afin de renforcer encore son impact. Comme me l'a dit mon prédécesseur, Michael Møller, la CEE-ONU est à bien des égards une perle cachée dans le système onusien. Je ferai de mon mieux pour en être un représentant très visible.
Mais la partie la plus importante de mon travail, ce sera d'aider les pays à coopérer, et c'est ce que la CEE-ONU fait le mieux. La vision de la CEE-ONU, qui remonte à sa création en 1947, c'est que si les pays coopèrent ils arrêteront de s'affronter, et que cela créera les conditions cadre pour la paix et le progrès. Dans un monde qui est encore la proie de beaucoup de tumulte et de tensions, c'est un rôle plus important que jamais.
Le travail de la CEE-ONU est technique et souvent méconnu du public. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que fait la Commission?
La CEE-ONU est un organisme pivot qui est très concentré sur l'obtention de résultats et moins sur sa visibilité. En deux mots, la CEE-ONU aide les pays à coopérer et à élaborer les normes, les régulations et les accords qui permettent d'harmoniser diverses questions de part et d'autre des frontières nationales. L'histoire a fait que la CEE-ONU soit un peu différente des autres Commissions régionales des Nations Unies. Après la Seconde Guerre mondiale, la nécessité de coopérer et de créer des normes communes était très nette et, jusqu'à aujourd'hui, la CEE-ONU joue donc un rôle unique en son genre lorsqu'il s'agit d'élaborer des normes et des standards. Plusieurs des normes et des conventions de la CEE-ONU sont devenues des instruments de portée mondiale, comme la Convention d'Aarhus sur la démocratie environnementale, la convention TIR sur le transport routier international ou nos normes de facilitation du commerce, pour ne citer que quelques exemples.
Et son impact sur notre vie quotidienne? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets?
Peu de gens connaissent la CEE-ONU mais c'est probablement l'organisation qui a le plus d'influence sur la vie quotidienne des Européens. Par exemple, les normes de sécurité pour les voitures sont élaborées par la Commission. L'harmonisation de la signalisation routière en Europe aussi. Lorsque vous allez faire vos courses au supermarché et que vous achetez des produits agricoles, les normes garantissant la qualité de ces produits ont été mises au point sous l'égide de la CEE-ONU (et pas seulement en Europe car 70% des fruits et légumes sont commercialisés, à l'échelle mondiale, selon les normes de la CEE-ONU). Si vous construisez une maison à haute efficacité énergétique, si vous faites du commerce entre Copenhague et Moscou, si vous voulez avoir votre mot à dire sur la gestion de l'environnement là où vous habitez ou éviter qu'une pollution de l'air dangereuse ait lieu, vous utilisez aussi les normes et conventions de la CEE-ONU. Notre travail a, chaque jour, des effets sur la vie des citoyens de l'Europe.
Est-ce que la CEE-ONU collabore avec d'autres organisations internationales dont le siège est à Genève?
Oui. Et nous allons le faire de plus en plus. Genève est la Silicon Valley de la coopération internationale et avoir notre siège au sein d'un environnement international aussi riche est un grand avantage . Nous avons par exemple conclu un partenariat avec l'Union internationale des transports routiers pour mettre en œuvre la Convention TIR, et nous travaillons en étroite collaboration avec la CNUCED, l'ITC et l'OMC sur la levée des obstacles au commerce.
Je suis un économiste du commerce et je suis donc convaincu que la géographie économique, telle que l'entend Paul Krugman, est très vivante à Genève. Nous tirons parti d'effets d'entraînement, de la proximité d'autres organisations et d'un pôle de gens très qualifiés. Le savoir créé dans une organisation est facilement capté par les autres. Il est vrai qu'il y a aussi de la compétition entre les organisations, mais je crois qu'à un certain niveau c'est une bonne chose et cela fait en sorte que nous continuions à faire de notre mieux pour le bien public. Ceci dit, j'adhère totalement à l'initiative de l'ONU "Unis dans l'action" et ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que la CEE-ONU collabore avec les autres organisations onusiennes.
Quelles sont vos premières impressions quant au travail et à la vie à Genève?
Je suis arrivé début août mais je venais régulièrement à Genève depuis le début des années 1990. Pour l'anecdote, lorsque j'étais encore assez jeune, j'ai postulé à l'OMC mais je n'ai pas eu le job. J'aurais donc pu arriver ici bien plus tôt. Mais je suis réellement très heureux d'être là aujourd'hui, et j'ai été très bien accueilli. Malheureusement ma famille va rester au Danemark car ma femme est élue et nous y avons notre ferme. Mais je vis non loin de l'aéroport et nous nous rejoindrons tous les week-ends.
Vous avez été ministre de la Coopération pour le développement dans votre pays. Quelle place occupe Genève aujourd'hui dans la gouvernance mondiale?
Les organismes de l'ONU qui ont leur siège en Europe sont plus nécessaires que jamais et ils auront un rôle important à jouer dans l'avenir. Mais nous devons faire mieux en nous positionnant en tant que l'ONU en Europe et l'ONU à Genève. J'étais ministre au Danemark lorsque la Cité de l'ONU a été inaugurée et j'ai beaucoup lutté pour que des organismes de l'ONU choisissent Copenhague pour s'y établir. En Europe, nous avons l'habitude d'être en concurrence les uns avec les autres. C'est une bonne chose en soi, mais si nous voulons continuer à avoir notre mot à dire dans le monde, l'Europe doit s'unir davantage et nous devons mieux travailler ensemble. Et c'est aussi vrai pour les organismes de l'ONU en Europe: il nous faut une vision unique d'une famille de l'ONU en Europe. C'est la seule façon pour l'Europe de conserver sa pertinence sur le long terme. Cela dit, Genève est dans une position unique. Quand on s'installe ici, dans un bureau construit pour la Société des Nations, on comprend l'importance historique de la ville. Aujourd'hui encore, sa facilité d'accès et sa neutralité permettent à Genève de faciliter la coopération d'une manière qui serait difficile pour d'autres villes.