L'interview | Aurélia Nguyen

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Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction ? Quel est votre objectif ?

Pour faire bref, Gavi est un partenariat public-privé international qui permet à la moitié des enfants du monde d’avoir accès à des vaccins contre un grand nombre de maladies infectieuses graves et potentiellement mortelles. Depuis sa création, en 2000 – bien avant l’apparition de la COVID-19 – Gavi a soutenu la vaccination d'une génération entière, plus de 888 millions d’enfants, ce qui a contribué à prévenir plus de 15 millions de décès. En tant que directrice des vaccins et de la durabilité, en temps normal j’assure le suivi de l'offre et de la demande en vaccins ainsi que de l’optimisation du marché, en étroite collaboration avec les fabricants, afin d'assurer un accès toujours plus équitable aux vaccins que nous fournissons. Depuis le début de la pandémie, j'ai un peu changé de rôle pour prendre la direction du programme COVAX, qui est hébergé par Gavi. COVAX est un partenariat international créé en réponse à la pandémie pour assurer un accès équitable aux vaccins contre la COVID-19 pour tous les pays du monde.

Dès le début de cette crise sanitaire, il nous est apparu clairement que nous aurions besoin non seulement de milliards de doses de vaccins mais aussi de milliards de vaccinations. Nous voulions éviter de répéter ce qui s'est passé lors de l’épidémie de grippe porcine il y a quelques années : un petit nombre de pays ont accaparé la quasi-totalité des stocks mondiaux de vaccins en laissant très peu pour les autres, dont la majorité n'avait de toute façon pas les moyens d’en acheter. COVAX a été créé pour répondre à ce problème. Cette initiative est gérée conjointement par Gavi, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI), l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l'UNICEF, avec le concours de 193 Etats qui représentent environ 90 % de la population mondiale. Son objectif est de garantir une protection vaccinale aux populations vulnérables, sans distinction de revenu. 

COVAX vise à supprimer les obstacles financiers qui entravent l'accès aux vaccins contre la COVID-19 pour plusieurs milliards de personnes. Cela passe tout d'abord par un mécanisme de garantie de marché pour les vaccins COVID-19, connu sous le nom de COVAX-AMC, qui permet de financer l'achat des doses en grandes quantités grâce à des dons, et de les distribuer à 92 pays en voie de développement. Nous avons déjà livré environ 320 millions de doses à 144 pays, dont la plus grande partie est destinée aux populations des pays les plus pauvres, qui auraient beaucoup de difficultés à y accéder sans ce soutien. Nous espérons avoir 1,4 milliard de doses supplémentaires à disposition d'ici la fin de l'année et 4,4 milliards en 2022.

 

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 Parmi la concentration d'acteurs à Genève (OI, ONG, missions permanentes, universités et secteur privé), avec qui travaillez-vous et comment ?

Le succès de Gavi et de COVAX s’explique par le fait que ce sont des initiatives collectives qui s'appuient sur des partenariats forts. Gavi peut compter non seulement sur ses partenaires principaux – l'OMS, l'UNICEF, la Banque mondiale et la Fondation Bill Melinda Gates – mais aussi sur l'expertise, les ressources et les infrastructures de nombreux autres partenaires: Etats, fondations privées, entreprises, ONG, associations professionnelles, locales ou religieuses, universités, fabricants de vaccins (y compris dans des marchés émergents), instituts de recherche dans le domaine de la santé, ainsi que les autorités gouvernementales des pays où nous sommes actifs.

Le programme COVAX fonctionne selon le même principe. Il ne se limite pas à développer et distribuer des vaccins contre la COVID-19, mais s’appuie sur les capacités de ses partenaires afin de mettre en place les éléments nécessaires pour que les vaccins atteignent les personnes qui en ont besoin. En plus de la chaîne d’approvisionnement et de livraison, nous cherchons des nouvelles solutions pour répondre à ce défi inédit, notamment à travers l’élaboration d'un cadre juridique couvrant la rémunération, la responsabilité civile et l'indemnisation. COVAX démontre qu’à condition d’unir leurs efforts les pays ont la capacité de monter une riposte mondiale qui garantit la protection de tous.

 

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Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité ?

Gavi est une organisation internationale, mais elle est née et a grandi en Suisse ! L'initiative a été créée à Davos lors du World Economic Forum et nous avons notre siège à Genève. Ce choix faisait sens dans la mesure où Genève est la capitale mondiale de la santé, grâce à la présence de l'OMS et d'une partie de l'UNICEF. Nous profitons également de la proximité avec nos principaux partenaires, ainsi que d'autres organisations tels que la FICR, l'OIM et le HCR, ce qui nous a permis de forger des relations solides, essentielles à notre succès. Gavi est une organisation innovante basée sur la coopération ; c’est la clé de notre impact et de notre efficacité. Il y a quelques années nous avons déménagé dans le Global Health Campus aux côtés du Fonds mondial et d’UNITAID, entre autres, ce qui a déjà donné lieu à de nouvelles collaborations. Nous avons fait beaucoup de chemin depuis nos débuts dans cinq bureaux au sous-sol du bâtiment de l'UNICEF ! Et puis le côté incroyablement multiculturel de Genève correspond non seulement à qui nous sommes en tant qu’organisation, mais en fait également une ville passionnante où vivre et travailler.

Notre position au cœur de l'Europe a des avantages, mais cela signifie aussi que nous sommes loin de la plupart des pays que nous soutenons. Notre structure est très légère, avec un siège à Genève, un bureau satellite à Washington, aux Etats-Unis, mais aucune présence permanente dans les pays où nous sommes actifs. Ce n’est pas toujours simple. Par exemple, un des désavantages de Genève c'est que l'aéroport est relativement petit. Il y a donc peu de vols directs vers les pays où, en temps normal, nous devons régulièrement nous rendre pour des réunions avec nos partenaires ou pour effectuer des visites sur le terrain ou dans des usines pharmaceutiques. Avec la COVID-19, voyager est encore plus compliqué. La pandémie et les inégalités vaccinales ont creusé l'écart économique et sanitaire entre les pays pauvres soutenus par Gavi et COVAX et la Suisse. Nous avons parfois le sentiment d'être très éloignés des problèmes que nous essayons de résoudre.
 

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A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans ?  

J’espère vivement que cette pandémie aura un effet positif, dans la mesure où le monde entier aura appris une leçon importante et sera mieux équipé pour prévenir des crises sanitaires d'une telle ampleur à l’avenir. Clairement, nous n’étions pas prêts à confronter cette pandémie, qui nous est tombée dessus sans crier gare. Mais il faut savoir que nous tirons la sonnette d’alarme depuis de nombreuses années par rapport aux risques croissants de pandémies et leur conséquences potentielles pour nos sociétés et nos économies. Les Etats et leurs dirigeants ne peuvent plus attendre que les maladies infectieuses menacent la sécurité mondiale pour les considérer comme des risques. Concrètement, cela signifie que nous devons tirer les leçons de cette expérience, mais aussi des forces qu'elle a révélées, pour améliorer la préparation et la gestion de la prochaine pandémie. Il ne fait aucun doute qu'il y en aura d’autres : la question n'est pas de savoir si un nouveau virus potentiellement pandémique émergera mais quand. Les maladies infectieuses sont constamment en train d’évoluer, c’est dans leur nature. 

Aujourd'hui, nous constatons que ces maladies menacent non seulement la santé mais aussi la sécurité et la stabilité mondiales. La COVID-19 aura servi de coup de semonce. Avec le soutien nécessaire, il est possible de réduire une grande partie de ces risques en améliorant l'accès aux soins de santé. Cela permettrait d’améliorer la surveillance sanitaire d’une part, et d’intervenir précocement pour éviter la montée épidémique et réduire les impacts négatifs d’autre part. Mais ce n'est possible que si les mesures préventives et les interventions précoces en cas de pandémie sont priorisées au niveau mondial, au même titre que d'autres menaces qui pèsent sur notre sécurité à tous. L'existence de COVAX démontre que ce but peut être atteint uniquement si les Etats unissent leurs forces pour trouver des solutions véritablement mondiales. Quelles que soient les moyens que nous mettons en œuvre pour affronter la prochaine pandémie, la leçon du COVID-19 est que « personne n'est en sécurité tant que tout le monde n'est pas en sécurité ».

 

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