L'interview | Luis Pizarro

Organization

Comment présenteriez-vous votre organisation en quelques mots ? En quoi consiste votre fonction? Quel est votre objectif?

L'initiative Drugs for Neglected Diseases (DNDi) est une fondation à but non lucratif qui recherche, développe et met à disposition des traitements pour les maladies négligées.

Notre organisation a été fondée en 2003 par Médecins Sans Frontières (MSF) en collaboration avec des instituts de recherche médicale au Brésil, en Inde, au Kenya, en Malaisie et en France, et avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS), afin de répondre aux besoins de cliniciens confrontés à des médicaments inefficaces, dangereux, indisponibles ou tout simplement inexistants. Depuis notre création, nous avons développé douze nouveaux médicaments, contre la leishmaniose, la maladie du sommeil et le paludisme, entre autres, permettant de sauver des millions de vies.

Par exemple, le seul traitement  disponible contre la maladie du sommeil il y 20 ans consistait en des injections d'arsenic, un produit hautement toxique qui provoquait la mort d’environ 5 % des patients. Aujourd'hui, ce traitement a été remplacé par de simples pilules. En collaboration avec nos partenaires, nous cherchons à développer des médicaments encore plus efficaces contre cette terrible maladie afin de l’éliminer définitivement.

Nous avons des bureaux à Nairobi, Rio de Janeiro, Kuala Lumpur, New Delhi, Kinshasa, Le Cap, Tokyo et New York. La moitié de nos collaborateurs travaillent ailleurs qu’à Genève.

J'ai été nommé directeur exécutif de DNDi l'année dernière. Mes fonctions consistent à définir la vision et les objectifs stratégiques de l’organisation, et à superviser l'ensemble des programmes de recherche et de développement (R&D) afin de garantir leur conformité avec les normes scientifiques et éthiques les plus exigeantes. Je suis également chargé du suivi des activités de plaidoyer et de la représentation auprès des parties prenantes externes, telles que nos partenaires, nos bailleurs de fonds et les autorités publiques.

Mon objectif premier est de soutenir notre plan stratégique ; notre ambition est de développer 25 nouveaux traitements sur nos 25 premières années d’existence. Nous disposons d'un solide « pipeline » de nouveaux traitements contre des maladies négligées, et ma principale priorité est d’en assurer la continuité. Je souhaite aussi renforcer la collaboration Sud-Sud dans le domaine de la recherche, mieux prendre en compte les besoins spécifiques des femmes dans la recherche et le développement, et plaider pour plus d'équité et d'inclusivité dans les processus de R&D au sein de l’industrie pharmaceutique. Nous avons beaucoup de défis à relever ! 

 

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Parmi la concentration d'acteurs à Genève (OI, ONG, missions permanentes, universités et secteur privé), avec qui travaillez-vous et comment?

Nous collaborons avec plus de 200 partenaires à Genève et dans le monde entier pour développer des médicaments sûrs, efficaces, abordables et accessibles.

Nos partenaires comprennent des ONG telles que Médecins Sans Frontières, les autorités sanitaires et les hôpitaux dans les pays où les maladies négligées sont endémiques, des organisations internationales comme l'OMS, des universités, des laboratoires, des instituts de recherche publics, des donateurs publics et privés, mais aussi des partenaires industriels, dont des grands groupes pharmaceutiques qui historiquement se sont peu intéressés aux maladies négligées.

DNDi fonctionne à la manière d'un chef d'orchestre virtuel qui rassemble et assure la coordination entre ces divers acteurs, sans lesquels nous ne serions pas en mesure de mettre à disposition les médicaments dont les patients ont si urgemment besoin. Les partenariats sont au cœur de notre modèle. Et ça marche: notre succès dans le développement de nouveaux traitement démontre la viabilité d'un modèle d'une R&D axée sur les besoins des patients plutôt que sur le profit.

 

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Quelles sont les forces et les faiblesses de Genève en ce qui concerne le développement de votre activité?

Genève est une capitale mondiale de la santé. Dans le cadre de notre action de plaidoyer, nous travaillons avec les missions permanentes et nous participons à des réunions clés à l'ONU et au sein d’autres organisations.

La majorité des acteurs mondiaux dans le domaine de la santé sont présents ici. Nous profitons de cette proximité avec des organisations telles que Unitaid, Medicine for Malaria Venture, FIND, le Fonds mondial, ONUSIDA, Médecins Sans Frontières, GAVI, et l'OMS, pour n'en citer que quelques-uns.

D’une part, cette concentration d'acteurs contribue à une meilleure coordination de l'effort collectif face aux grands défis mondiaux en matière de santé et facilite la recherche de partenaires, la discussion et l'action.

J'en profite pour souligner le soutien formidable de la République et canton de Genève qui finance nos recherches sur le mycétome, une infection parasitaire qui oblige à des amputations et compte parmi les maladies les plus négligées au monde. À l'occasion de la Journée mondiale contre les maladies tropicales négligées, je tiens à exprimer notre profonde reconnaissance aux autorités genevoises.

D’autre part, cette concentration d'acteurs de la santé en un seul lieu peut avoir quelques inconvénients : elle augmente par exemple le risque de « pensée de groupe », de manque de diversité, de distanciation avec les populations les plus touchées, ce qui favorise une approche "top-down" et uniformisée de la santé publique, pas nécessairement adaptée à toutes les régions du monde. II est donc important de renforcer les liens avec les organisations nationales et régionales, surtout dans les pays du Sud.

La Genève internationale a un rôle important à jouer en permettant à toutes les parties prenantes de participer et d'échanger des idées, des pratiques et des perspectives venues du monde entier afin d'améliorer la santé de tous, en particulier celle des populations négligées.

 

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A quoi devrait ressembler la gouvernance mondiale dans 20 à 30 ans?

Dans le domaine de la santé, il faudra développer un système de gouvernance qui garantit un accès équitable aux outils qui sauvent des vies.

Par exemple, nous devons repenser la gouvernance de la R&D dans une logique d'intérêt public: les décisions prises à chaque étape du développement d'un nouveau traitement influent sur sa disponibilité, son accessibilité et son prix. Les États peuvent jouer un rôle clé, par exemple en obligeant toute organisation qui a reçu des financements publics de mettre dans le domaine public les connaissances acquises et de rendre accessible à tous tout nouveau traitement développé grâce à ces fonds. Cela dit, la gouvernance de la santé faisant partie de la gouvernance mondiale, elle est confrontée aux mêmes obstacles que cette dernière. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer l'échec de la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19, qui a mis à jour l'ampleur des inégalités systémiques en matière de santé.

L'équité doit être l'objectif premier de la gouvernance mondiale de la santé. Pour cela, nous devons questionner chaque décision et, tout aussi important, par qui elle est prise. Il est inacceptable que ce soit uniquement un petit groupe de pays et de bailleurs de fonds qui ait ce pouvoir de décision.

Avec de nouveaux modèles de gouvernance et de coopération internationale axés sur ces objectifs, il sera possible non seulement de constamment innover pour répondre à des besoins en constante augmentation, mais aussi de garantir un accès équitable aux fruits de la science à chacun quel que soit son revenu ou l'endroit où il vit.

 

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Quelle question auriez-vous aimé que l'on vous pose? Et qu'est-ce qui vous empêche de dormir la nuit ?

Parmi les problèmes qui pèsent de manière disproportionnée sur les populations les plus vulnérables de notre planète, le changement climatique et son impact sur la santé sont particulièrement préoccupants.

Par exemple, on prévoit que le nombre de personne à risque de contracter la dengue atteindra 60 % de la population mondiale d'ici 2080 en raison du changement climatique, de l'urbanisation rapide et de la croissance démographique. Il n'existe à ce jour aucun traitement contre cette maladie.

La hausse des températures a un impact sur les vecteurs de maladie (comme les moustiques pour la dengue ou les moucherons phlébotomes pour la leishmaniose) : elle contribue à augmenter la fréquence des piqûres et la durée de la saison de transmission et stimule la propagation des insectes vecteurs dans des régions où la transmission est actuellement basse. Cela aggravera l'impact sur de nombreuses maladies, y compris des maladies négligées.

Nous devons éviter de répéter les erreurs de la réponse mondiale à la COVID-19 et faire en sorte que l'innovation soit accessible à tous. Sans transformation profonde des politiques publiques qui définissent le cadre de la recherche médicale, l'innovation restera un privilège de pays riches, tandis que les pays du Sud - qui souffrent le plus du changement climatique - seront les plus durement touchés par les maladies sensibles au climat.

Le monde doit s'y préparer. Actuellement, ce n'est pas le cas.


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