L'interview | Nicole Hogg
 | De quel aspect de votre organisation êtes-vous la plus fière ? |
Je suis fière de la longue et fructueuse histoire d'APT dans l’action contre la torture et les mauvais traitements, aux côtés nos partenaires dans le monde entier. Au cours de ses 48 ans d'existence, l'APT a contribué à la mise en œuvre de mesures de surveillance et de monitoring indépendant des lieux de privation de liberté dans de nombreux pays. L'efficacité de ces mesures, ainsi que d'autres dispositions qui entrent jeu à différents stades du système juridique et pénal, dans la prévention de la torture et les mauvais traitements est avérée. Je suis fière d'avoir pu contribuer à cette évolution.
Mais ce qui me rend encore plus fière ce sont mes collaborateurs. Leurs connaissances, leur expérience, leur engagement et leur passion sont une véritable source d'inspiration au quotidien. J'ai énormément de chance de travailler pour une organisation comme celle-ci avec une équipe aussi professionnelle.
 | Pouvez-vous nous présenter les principaux défis auxquels vous êtes actuellement confrontés ? |
Malgré les progrès que j'ai évoqués, la torture et les mauvais traitements sont des pratiques encore beaucoup trop répandues. Dans de nombreux contextes, on observe actuellement un durcissement des attitudes et un recul de l'engagement en faveur des droits de l'homme. Sans volonté politique forte et sans soutien financier, il devient plus difficile de poursuivre notre action de prévention. Ce n'est pas le cas partout, mais la tendance est inquiétante.
La situation financière des ONG internationales comme la nôtre évolue, car les donateurs sont confrontés à des pressions croissantes et à des priorités souvent contradictoires. Face aux nombreuses demandes de soutien que nous recevons, une petite ONG comme la nôtre doit définir des priorités claires afin de concentrer nos ressources là où elles peuvent avoir le plus d'impact. Le financement pluriannuel est crucial pour nous, car il nous permet de planifier de manière efficace et d'améliorer l’efficacité et la durabilité de notre action.
 | Parmi la concentration d'acteurs à Genève (OI, ONG, missions permanentes, universités et secteur privé), avec qui travaillez-vous et comment ? |
L'APT a son siège à Genève, même si notre activité est internationale.
L'APT collabore depuis longtemps avec les Nations Unies. Nous contribuons à l'élaboration de traités et de normes, notamment le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture (OPCAT), et à la rédaction de résolutions du Conseil des droits de l'homme sur des questions telles que la prévention de la torture, le traitement des femmes dans les lieux de détention et les manifestations pacifiques. Nous collaborons régulièrement avec les organes de traités, les procédures spéciales et les mécanismes des Nations Unies. Nous intervenons aussi oralement lors de diverses réunions, nous organisons des événements parallèles et nous collaborons avec d'autres acteurs concernés pour promouvoir les droits de l'homme et la prévention de la torture.
Nous cultivons des relations fortes avec plusieurs missions permanentes à Genève, ainsi qu'avec les principaux États membres de l'Initiative de la Convention contre la torture (CTI), avec lesquels nous avons un partenariat stratégique. Nous participons à des initiatives de plaidoyer telles que les « Principes relatifs aux entretiens efficaces dans le cadre d’enquêtes et de collecte d'informations » ou « Principes Méndez ».
Nous collaborons aussi avec un large réseau d'OING actifs dans les droits de l'homme. Depuis 2023, nous avons officialisé notre collaboration avec cinq autres organisations anti-torture au sein du groupement United Against Torture Consortium. En plus de ces partenariats internationaux, l'APT s'engage au niveau local en collaborant avec des autorités locales, telles que la Commune de Chêne-Bougeries, et avec des instituts universitaires, notamment l'Académie de droit international humanitaire et des droits de l'homme de Genève.
 | À votre avis, quelles sont les forces et les faiblesses de Genève ? |
L'une des forces de Genève – en plus d'être une très belle ville – est son rôle de pôle international des droits de l'homme, ce qui permet aux personnes actives dans les mêmes domaines de se rencontrer et de se soutenir mutuellement. Cet écosystème unique favorise la collaboration et l'innovation et permet aux États, aux ONG, aux chercheurs et à la société civile d'unir leurs forces pour répondre aux grands défis mondiaux.
Le risque est que la Genève internationale fait parfois l'effet d'une bulle assez éloignée de la réalité quotidienne du reste du monde. Il est donc important de se rappeler que notre action doit rester centrée sur les personnes, et de s’efforcer d'écouter et d'apprendre de leur vécu, au-delà du monde diplomatique.
 | Qu'est-ce qui vous a surprise ou inspirée récemment ? |
Dans le cadre de mon travail, j'ai le privilège de pouvoir rencontrer beaucoup de personnes inspirantes. Je pense par exemple à Gladys Ambort, binationale suisse-argentine, qui, dans les années 1970, à l'âge de 17 ans, a été arrêtée pour raisons politiques et maintenue à l'isolement. Mme. Ambort vit aujourd'hui à Genève. Elle a pris la parole lors de la 5e Conférence Jean-Jacques Gautier coorganisée par l'APT et la Commune de Chêne-Bougeries en octobre 2024.
Je me souviens que je me suis demandé si j’avais vraiment envie d’assister à une soirée sur un sujet aussi lourd après une longue journée de travail. Mais j'ai été captivée par le témoignage émouvant de Mme. Ambort concernant les blessures physiques et psychologiques causés par l'isolement cellulaire et ses impacts à long terme. La générosité avec laquelle elle a partagé son histoire avec une salle entière d'inconnus, son humanité, sa force, sa sagesse, et son sens de l'humour m'ont remplie d'énergie et m'ont rappelé que ce qui compte vraiment dans la vie sont la bonté et le lien humain.