Entretien avec le Dr Bernard Pécoul, fondateur et directeur de Drugs for Neglected Diseases Initiative | Août 2013

Août 2013

 

Pourquoi avoir créé DNDi en 2003?

Dans les années 80, en travaillant sur le terrain comme médecin volontaire avec MSF, je me suis souvent trouvé dans la situation inacceptable de ne pas pouvoir convenablement soigner des malades touchés par des maladies infectieuses, faute de traitements efficaces ou adaptés. Par exemple, contre la maladie du sommeil, nous utilisions l'Arsobal, un dérivé de l'arsenic, dont l'utilisation pouvait tuer jusqu'à un patient sur 20. Patients marginalisés, populations pauvres et oubliées, la réalité d'alors était finalement simple à énoncer: en l'absence de marché les entreprises pharmaceutiques ne s'engageaient plus dans la recherche et le développement de nouveaux outils thérapeutiques. A peine plus de 1% des investissements de recherche étaient consacrés à ces maladies qui touchaient les plus négligées. En 2003, à l'initiative de MSF, de plusieurs institutions scientifiques des pays du Sud, de l'Institut Pasteur et avec l'appui de l'OMS, DNDi fut créé avec pour mission de développer de nouveaux traitements contre ces maladies dites négligées.

Vous fêtez vos dix ans : quelles sont vos plus grandes réalisations ?

Selon notre stratégie à court terme, DNDi et ses partenaires ont développé et mis à disposition six nouveaux traitements qui sont issus de produits existants afin de rapidement apporter une amélioration thérapeutique. Citons en exemple, contre le paludisme, l'ASAQ (combinaison à dose fixe d'artésunate et d'amodiaquine) dont plus de 200 millions de traitements ont été distribués depuis son enregistrement en 2007, et l'ASMQ (combinaison à dose fixe d'artésunate et de mefloquine) ou encore contre la maladie du sommeil, le NECT (combinaison de nifurtimox et d'éflornithine) aujourd'hui utilisé pour soigner 96% des patients du stade avancé de la maladie en République Démocratique du Congo (pays où se trouvent 84% des cas). Plus en amont sur le plan de la recherche, nous avons construit un portefeuille de nouvelles molécules qui pourront nous permettre à plus long terme de fournir des traitements encore plus adaptés et plus accessibles.

Tout cela est possible grâce à nos partenariats solides avec des institutions publiques et privés et basés sur le long terme.

DNDi a également contribué à l'utilisation et au renforcement des capacités en recherche clinique dans les pays endémiques par la création de trois plateformes : la Plateforme LEAP en Afrique de l'Est sur la leishmaniose viscérale, la Plateforme THA en Afrique centrale sur la maladie du sommeil et la Plateforme Chagas en Amérique latine.

Pouvez-vous nous expliquer, en prenant un exemple concret, comment vous arrivez à développer des traitements abordables pour les maladies négligées ?

Je reviens sur l'exemple cité de l'ASAQ qui est une combinaison à dose fixe d'artésunate et d'amodiaquine pour le traitement simplifié du paludisme. Suite à la recommandation de 2002 de l'OMS d'utiliser l'artémisinine en combinaison avec un autre composant, DNDi, en collaboration avec MSF, TDR et des partenaires académiques et industriels ont développé une combinaison à dose fixe de produits actifs existants dont l'artésunate avec l'objectif, pour le dire simplement, de mettre deux produits actifs dans un seule et même comprimé afin de réduire la posologie (1 ou 2 comprimés par jour pendant 3 jours selon l'âge) et faciliter la prise du traitement. L'ASAQ a été développé en partenariat avec Sanofi et mis à la disposition des patients en 2007 au prix de 1US$ pour l'adulte et 0.50US$ pour l'enfant. Sanofi s'est en effet engagé à produire ASAQ à prix coûtant, sans brevet, afin qu'il soit distribué le plus largement possible aux patients par le secteur public, les ONGs et les organisations internationales telles que le Fonds Global. Depuis son lancement, 200 millions de traitements ont été distribués et l'ASAQ est aujourd'hui disponible dans 33 pays en Afrique, et également en Inde et en Colombie.

Le développement de nouveaux médicaments se fait-il toujours avec un partenaire privé ?

DNDi fonctionne en partenariat autant avec des institutions publiques que privées. Ainsi, le concours d'un partenaire privé comme l'est une compagnie pharmaceutique peut intervenir à tous les stades de développement du médicament : au moment de la découverte de nouvelles molécules par l'accès facilité à leur librairies de molécules, du développement clinique par la production des lots utilisés lors des essais cliniques et, bien sûr, au moment de la production du nouveau médicament et de sa distribution.

Ce type de partenariat ne semble pas, au premier abord, aller de soi : comment convainquez-vous les entreprises pharmaceutiques de travailler avec vous ?

L'environnement de la recherche médicale a évolué au cours des dernières années. L'industrie pharmaceutique est aujourd'hui à la recherche de nouveaux modèles afin d'accéder à de nouveaux marchés. Aussi, depuis une dizaine d'années, de nouveaux modèles comme les partenariats public-privés répondent à un besoin où les mécanismes traditionnels du marché ne fonctionnent pas et où la protection de la propriété intellectuelle n'est pas facteur clef d'innovation médicale et scientifique. Les entreprises pharmaceutiques ont également besoin d'améliorer leur image auprès du grand public et au sein même de leur équipes. Lorsque le feu vert est donné par la direction de l'entreprise, la question n'est pas de savoir comment convaincre les chercheurs, mais plutôt de savoir quelles sont les compétences et les expertises qui peuvent être mis en œuvre pour définir des projets réalistes et capables de vraiment changer le cours d'une maladie et la prise en charge efficace des patients.

Quelle est votre position concernant la question des brevets ?

Lors du développement de nouveaux médicaments, DNDi cherche, dans la mesure du possible, à ce que ces derniers soient produits en tant que biens publics, c'est à dire non brevetés. Cette condition est fondamentale pour assurer un accès équitables aux populations concernées.

Collaborez-vous avec l'OMPI sur ces questions ?

DNDi collabore à l'initiative lancée par l'OMPI en 2011, « WIPO Re:Search », qui permet d'accéder à une bibliothèque de composés pharmaceutiques, de technologies et - surtout - le savoir-faire et les données déjà disponibles en R&D pour les maladies tropicales négligées, la tuberculose et le paludisme. Ainsi, WIPO Re:Search facilite de nouveaux partenariats pour soutenir les organisations qui mènent des recherches sur les traitements pour les maladies tropicales négligées, et accélérer l'innovation en faveur des patients en attente de traitements adaptés.

Vous travaillez largement en réseau et disposez de partenaires sur tous les continents. Quelle est la fonction du bureau de Genève ?

Afin d'être au plus près des projets et de ses bénéficiaires, DNDi est présent sur l'ensemble des continents avec des bureaux au Brésil, au Kenya, en RDC, en Inde, en Malaisie, au Japon, en Amérique du Nord et à Genève où se trouve le siège qui définit les lignes stratégiques de l'organisation et la coordination de leur mise en œuvre. Au-delà des 107 employés dont la moitié se trouve au siège et l'autre moitié dans les bureaux régionaux, DNDi possède en effet un très large réseau de partenaires qui travaillent conjointement sur nos projets. Au total, plus de 630 personnes – dont 300 en Afrique – sont impliquées aujourd'hui dans les activités de DNDi. Ce réseau fait la force des partenariats de développement de produits (PDP) comme DNDi.

Le domaine de la R&D pour les maladies négligées a-t-il évolué depuis la création de DNDi ? Quels sont aujourd'hui les grands enjeux du secteur ?

Depuis 10 ans, le paysage a évolué. Beaucoup de progrès peuvent être constatés, avec notamment le développement de nouveaux traitements, mais il reste énormément d'efforts à fournir pour répondre aux besoins des malades. En terme d'environnement, on peut noter un nouveau dynamisme notamment au travers d'une diversification des acteurs impliqués, avec la présence d'institutions publiques et privées dans les pays endémiques, des gouvernements, des compagnies pharmaceutiques, des compagnies de biothechnologie, des partenariats publics-privés et de nouveaux investissements et mécanismes de financement.

Malgré cette évolution et un nouveau panorama qui permettent davantage de synergies et de progrès dans de le domaine de la R&D pour les maladies négligées, de forts investissements sont encore nécessaires, tant de la part des gouvernements que du secteur privé, afin de garantir que ces efforts soient maintenus et intensifiés.

Les autorités publiques doivent apporter les changements politiques favorisant le développement de nouveaux outils essentiels au service de la santé et la possibilité pour toutes les populations concernées d'avoir accès à ces traitements. L'adoption de mesures novatrices, notamment en matière de propriété intellectuelle, pour encourager la R&D, ainsi que le transfert de technologies et le renforcement des capacités de recherche dans les pays endémiques font partie des enjeux.

Quelles sont vos relations avec les autres acteurs de la Genève internationale ?

De par la nature même de son modèle (un PDP), DNDi travaille avec de nombreux partenaires dont un bon nombre se trouve à Genève. L'OMS étant l'autorité mondiale en matière de santé publique est un de nos interlocuteurs privilégiés dans notre combat contre les maladies négligées. DNDi est aussi en relation étroite avec d'autres partenariats public-privé tels que Medicines for Malaria Venture (MMV) ou encore FIND, mais également avec les Hôpitaux Universitaires de Genève, les missions permanentes et autres représentations d'Etats. Enfin, DNDi bénéficie du soutien financier du Canton de Genève depuis sa création en 2003. 

 

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