Entretien avec Christian Dussey, Directeur du GCSP
L'ambassadeur suisse Christian Dussey dirige le GCSP depuis août 2013, un centre qui conjugue formation, recherche et dialogue sur les questions de paix et de sécurité. Dans cet entretien, il nous parle des principes qui guident son action, de son parcours, de ses priorités pour le GCSP, ainsi que des grands moments du Centre en 2014.
Mars 2014
L'ambassadeur suisse Christian Dussey est à la tête du GCSP depuis août 2013. Diplomate, mais pas seulement, il a également fait carrière dans l'armée suisse, a été analyste au Service de renseignement de la Confédération, a dirigé le Centre de gestion de crises du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et vient de passer un an à Harvard.
Le profil idéal pour diriger le GCSP, un centre qui conjugue formation, recherche et dialogue sur les questions de paix et de sécurité. Chaque année, ce sont près de 800 participants qui suivent des cours dispensés par (ou en collaboration avec) le GCSP, à Genève mais également à Addis-Abeba, Bakou, New York, Dakar, Amman ou encore Sarajevo. Militaires de haut rang, diplomates, experts, décideurs d'administrations nationales, ils sont à ce jour plus de 4000 à avoir suivi des cours au GCSP. Beaucoup d'entre eux occupent des positions clés dans leur gouvernement ; certains sont même devenus ministres. La nouvelle Présidente de la République centrafricaine est d'ailleurs, à ce titre, une ancienne du GCSP. C'est également au GCSP que peuvent se côtoyer, dans un même cours, des officiers américains et nord-coréens, ou encore un colonel indien et une chercheuse pakistanaise originaire des zones tribales, posant les prémisses d'une diplomatie de l'engagement et d'une compréhension mutuelle.
La recherche menée au GCSP vise à informer et donner des outils aux décideurs, militaires, diplomates et experts sur des sujets pointus tels que le terrorisme transnational, le désarmement, les migrations ou encore la situation au Moyen-Orient.
Christian Dussey nous reçoit dans son bureau de la Maison de la paix, où le GCSP vient d'emménager début janvier. A travers les baies vitrées, on peut voir d'un côté la rade et le centre ville et, de l'autre l'Onu et le quartier des organisations internationales. Créer des ponts entre ces deux composantes de Genève, les relier, les faire se rencontrer fait d'ailleurs partie de ses envies, de ses projets. Sur les murs de son bureau, on peut lire des citations de Sénèque et de Winston Churchill, rappels des principes qui guident son action.
Dans cet entretien il nous parle justement de ces principes, de son parcours, de ses priorités pour le GCSP, des particularités du centre et de cette année 2014.
Quelle est votre relation à Genève?
Mon premier lien avec Genève vient de l'émigration: étant d'origine valaisanne, plusieurs membres de ma famille, dont mon père, sont venus s'établir ou travailler ici. Mon épouse a également été en poste comme diplomate auprès de la Mission suisse à Genève il y a 10 ans. J'ai toujours eu une attirance particulière pour cette ville internationale et importante et j'ai toujours eu envie d'y travailler. Mais c'est mon premier poste ici.
Quel a été votre parcours avant de diriger le GCSP?
J'ai eu le privilège de toucher à trois domaines très différents: le renseignement, la diplomatie et les questions militaires. Toucher à ces trois domaines, c'est voir différents aspects du travail d'un gouvernement. C'est également regarder l'actualité internationale à travers différents prismes. L'agent d'un service de renseignement va souvent regarder le monde avec scepticisme. Un militaire va systématiquement prendre en considération les dangers et les risques d'une situation. Le diplomate, lui, examinera davantage les chances et les opportunités.
J'ai débuté ma carrière comme analyste au Service de renseignement de la Confédération lors de l'effondrement de l'Union soviétique. J'ai ensuite fait le concours pour devenir diplomate et ai embrassé une carrière diplomatique qui m'a mené à Moscou, à Prague ou encore à exercer la fonction de conseiller diplomatique de Madame Dreifuss durant son année présidentielle en 1999. J'ai également occupé trois postes à Berne, dont le dernier comme chef du Centre de gestion de crises du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
Ce dernier poste était certainement l'une des positions les plus fascinantes que j'ai occupées, mais aussi des plus exigeantes. Vous êtes là pour servir les Suisses qui voyagent à l'étranger et sont victimes d'un tremblement de terre, d'un enlèvement, d'un attentat ou encore d'un tsunami. Nous appelions cela la diplomatie de l'urgence: c'est très intense, émotionnellement et mentalement, et aussi imprévisible. Vous pensez, le vendredi soir, que vous allez partir en week-end ou en vacances avec votre épouse et finalement vous retournez travailler parce qu'un attentat quelque part dans le monde a fait plusieurs dizaines de victimes. Vous travaillez ensuite presque 24 heures sur 24 pendant plusieurs jours d'affilée. A ce poste, vous êtes jugé sur un résultat factuel, ou sur son absence justement. C'est très exigeant. Mais c'est aussi son côté positif, celui de venir en aide à des compatriotes en détresse.
En parallèle, comme tout Suisse à l'époque, j'ai fait mon service militaire et ai eu un parcours qui m'a mené à l'école d'État-major général.
Enfin, à la suite de mon poste au Centre de gestion de crises, j'ai eu l'opportunité d'étudier durant une année à Harvard. J'ai pu découvrir Boston qui est, un peu comme Genève d'ailleurs, une ville fascinante et un pôle mondial de recherche et de dialogue. Me voilà désormais à la tête du GCSP depuis six mois.
Quels principes guident votre action?
Deux grands principes guident mon action: le rôle clé de l'éducation et de la formation, et l'importance de l'histoire. Des citations, une de Sénèque et une de Churchill, les illustrant, sont d'ailleurs écrites sur les murs de mon bureau.
J'ai toujours été convaincu du rôle essentiel de l'éducation et de la formation. Lorsque j'étais à Moscou, en parallèle de mon travail de diplomate, j'ai passé, à distance, un diplôme de Master dispensé par la Fletcher School of Law and Diplomacy (Tufts University). Aujourd'hui encore, j'en récolte les fruits. J'apprécie beaucoup cette citation que certains attribuent au philosophe et homme d'Etat romain Sénèque : "la chance naît d'une rencontre entre la préparation et l'opportunité". L'éducation et la formation vous permettent de saisir les opportunités lorsque celles-ci se présentent. C'est ce que nous faisons au GCSP. Nous donnons à nos participants les outils pour qu'ils puissent saisir les opportunités qui se présentent à eux. Si vous n'êtes pas préparé, vous pouvez aisément passer à côté d'opportunités uniques, que ce soit pour faire la paix, pour éviter la guerre ou pour renforcer la sécurité.
L'histoire est également primordiale: il est nécessaire de connaître le passé pour ne pas répéter les mêmes erreurs. Les analogies historiques peuvent parfois être délicates et dangereuses, mais nous avons tout de même beaucoup à apprendre du passé. Churchill, qui était fasciné par l'histoire, le dit d'ailleurs très bien: "Étudiez l'histoire, étudiez l'histoire. C'est dans l'histoire que résident tous les secrets de l'art de gouverner". Au GCSP, nous invitons de nombreux praticiens à partager leur expérience avec les personnes qui suivent nos formations. Pour ne parler que de notre cours le plus long, l'International Training Course in Security Policy (ITC), 150 intervenants viennent y enseigner, sur une période de huit mois. Parmi nos membres associés (Associate Fellows) récemment nommés, nous comptons notamment le Commandant suprême adjoint des forces alliées en Europe (numéro 2 de l'OTAN), un ancien Ambassadeur de France à New York et à Washington durant la guerre en Irak, ou bien encore l'un des meilleurs spécialistes russes du Proche et Moyen -Orient.
Quelles sont les spécificités du GCSP?
A l'origine, le GCSP était un centre de formation créé par la Confédération suisse pour former les cadres supérieurs de son administration dans le domaine de la politique de sécurité. Au vu de son succès, ce programme de formation a été élargi aux pays voisins, puis, suite à la chute du Mur, à l'Europe orientale et à l'ensemble des Etats issus de l'ancienne Union soviétique. D'ailleurs, le GCSP reste un élément important de la contribution suisse au Partenariat pour la paix de l'OTAN. Au cours des 10 dernières années, le GCSP s'est ouvert et est devenu plus global. Nous avons aujourd'hui des participants à nos formations qui viennent de Colombie, du Soudan, d'Afghanistan ou encore de Tanzanie. C'est l'une des spécificités du GCSP. Ceci se retrouve d'ailleurs dans la composition de notre Conseil de Fondation, qui compte 45 Etats membres.
La diversité de nos collaboratrices et collaborateurs en est une autre. Nous sommes plus de 60, avec 17 nationalités représentées et des professions très variées. Nous avons des professeurs d'université, des chercheurs, des experts, des ambassadeurs, des diplomates de différents pays, un général, des colonels, mais également des praticiens qui ont une grande expérience du terrain. Une diversité que nous retrouvons dans nos salles de formation : au cours de l'année académique 2012-2013, nous avons formé près de 800 participants venant de 111 pays, aux profils très variés. Cette combinaison fait la richesse de notre centre et notre différence.
Parlez-nous de votre nouvelle fonction de directeur du GCSP. Concrètement, quel est votre rôle?
Je me sens parfois comme le chef d'un orchestre comptant dans ses rangs beaucoup de virtuoses! Nous avons en effet, au centre, des spécialistes mondialement reconnus comme, par exemple, le Dr. Khalid Koser, notre Directeur adjoint et grand spécialiste des questions migratoires, ou comme le Dr. Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, un spécialiste du terrorisme transnational, entre autres, récemment nommé parmi les 100 personnalités africaines les plus influentes par le magazine britannique New African. A leur côté, nous avons des officiers, des diplomates, des personnalités qui ont occupé souvent une fonction très élevée dans leur hiérarchie nationale et proviennent de cultures d'organisations très différentes. Autour d'eux, nous avons toute un série de spécialistes qui jouent un rôle important de soutien pour faire de ce que nous appelons la « GCSP Experience » quelque chose d'unique et de mémorable pour nos participants et visiteurs.
Avez-vous défini un certain nombre de priorités?
J'en ai effectivement défini quatre, principalement. La première est de mieux connaître et répondre aux attentes et aux besoins des membres de notre Conseil de fondation, en matière de formation bien sûr, mais aussi quant aux travaux de recherche que nous menons et événements que nous organisons. La deuxième est de faire du GCSP une organisation qui soit agile et rapide dans les réponses qu'elle apporte aux besoins de ses « clients ». La troisième est de développer de nouveaux cours et formations, basés sur une pédagogie innovante adaptée aux attentes de nos participants, afin de rester à la pointe de l'offre dans le domaine. Enfin, nous voulons mettre à profit notre arrivée ici, à la Maison de la paix, pour travailler plus étroitement avec l'IHEID et nos collègues du Centre international de déminage humanitaire (GICHD) et du Centre pour le contrôle démocratique des forces armées (DCAF), notamment, afin de faire de ce lieu bien plus qu'un simple édifice.
Qu'attendez-vous plus concrètement de cette collaboration renforcée avec les autres locataires de la Maison de la paix?
Concrètement, l'idée est de mettre en œuvre un fort pôle de compétences en matière de formation, de recherche et de conseil dans le domaine des affaires internationales. Nos mandats sont certes différents, mais complémentaires. Nous allons rechercher les synergies possibles et renforcer la collaboration en travaillant sur des projets communs au profit de la communauté internationale.
Quels sont les défis auxquels le centre va devoir répondre?
Notre principal défi est de rester pertinent. Le domaine de la formation est en pleine transformation. Vous pouvez aujourd'hui suivre des cours de Yale ou de Harvard en ligne et gratuitement, par l'intermédiaire notamment des Massive Open Online Courses (MOOCs). Le marché de l'éducation et de la formation est aujourd'hui très concurrentiel. Il s'agit donc, pour nous, de continuer d'offrir un produit qui soit unique en son genre.
Cela s'applique tout autant au domaine de la recherche, dans lequel la concurrence est également considérable.
Produire une réelle plus-value est donc essentiel pour exister. Voilà notre plus grand défi!
Quels seront les grands moments du centre en 2014?
Il y a d'abord eu notre déménagement à la Maison de la paix en début d'année, bien sûr. Ensuite, nous allons organiser une journée portes-ouvertes le 2 avril. Ce sera l'occasion, pour le public, de découvrir concrètement ce que nous faisons. Nous allons également lancer, dans le courant de l'année, un certain nombre de nouveaux cours et formations. Vers la fin de l'année, lorsque les derniers « pétales » de la Maison de la paix seront terminés, une inauguration officielle de l'ensemble des bâtiments sera organisée.
Que préférez-vous dans votre nouvelle fonction?
J'aime l'idée que rien n'est acquis, qu'il faille prouver chaque jour que l'on apporte une réelle plus-value. Dans notre cas, les participants à nos cours nous évaluent à la fin de chaque semaine et si vous n'êtes pas bon, ils vous le font savoir !
Y a-t-il un évènement, ou une rencontre, qui vous a particulièrement marqué depuis votre entrée en fonction?
Sans doute l'ouverture de deux cours que nous donnons: le International Training Course in Security Policy (ITC), qui dure huit mois, et le European Training Course in Security (ETC), qui dure trois mois. Chacun compte une trentaine de participants.
Le premier jour, l'ensemble des participants et de nos collaborateurs se présentent. A cette occasion, j'ai été frappé par l'incroyable diversité présente dans la salle de classe: aussi bien du point de vue des professions, des expériences de vie que des provenances géographiques. Vous vous trouvez en présence de représentants de nombreux ministères (affaires étrangères et défense, bien sûr, mais aussi environnement, finances ou encore économie), d'officiers militaires, de représentants de la société civile, etc. Certains ont passé les huit dernières années en Afghanistan et en Irak, dans le cadre d'opérations militaires ; d'autres dans des contextes de guerres civiles ; d'autres encore ont fait de la diplomatie multilatérale. Rassembler un tel potentiel de connaissances, de compétences et d'expériences dans une seule et même salle de cours est véritablement quelque chose d'unique.