Entretien avec Lars Peter Nissen, Directeur d'Assessment Capacities Project | Mars 2014

Genève Coopération internationale a rencontré Lars Peter Nissen, le Directeur d'Assessment Capacities Project, l'un des nouveaux acteurs de la scène humanitaire genevoise.

Mars 2014

 

Pourquoi le projet ACAPS a-t-il été lancé, il y a quatre ans?

ACAPS est né d'une volonté de renforcer la capacité du secteur humanitaire à mieux comprendre ce que vivent les personnes touchées par des conflits armés et des catastrophes naturelles. Les acteurs du secteur humanitaire doivent souvent prendre des décisions dans l'urgence dans des situations très difficiles et qui évoluent à toute vitesse. On manque souvent d'information. En recourant à la formation et à l'analyse, ACAPS vise à donner aux décideurs humanitaires de meilleurs outils qui leur permettront de répondre aux besoins réels des gens.

Si vous deviez expliquer ACAPS à un Martien, que diriez-vous ?

La meilleure explication-éclair que je puisse trouver à chaud c'est qu'ACAPS est le guide Lonely Planet des humanitaires. Je ne suis pas sûr que le Lonely Planet existe sur Mars mais ce que je veux dire c'est que nous cherchons à donner à ceux qui agissent sur le front humanitaire un guichet unique où trouver des informations liées à l'action humanitaire. Nous n'y sommes pas encore mais c'est notre objectif.

Je pense qu'on peut faire un parallèle très marqué avec le secteur privé et son secteur « B2B », des entreprises dont la spécialité est de vendre des services à d'autres entreprises. ACAPS fait en quelque sorte du « H2H »: nous sommes des humanitaires qui fournissons des services à d'autres acteurs du secteur humanitaire.

Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Notre principal projet en ce moment tourne autour de la Syrie. Nous avons dix personnes qui travaillent à analyser la situation en Syrie et à publier des rapports. Nous essayons aussi d'inventer des méthodes et des approches nouvelles et innovantes pour faire nos évaluations. En ce moment, par exemple, nous essayons d'utiliser les données des téléphones portables pour comprendre les mouvements des gens immédiatement après une catastrophe.

Pouvez-vous nous dire pourquoi ACAPS est un projet et non une organisation ?

ACAPS a été lancé il y a quatre ans à titre expérimental. A ce jour c'est encore une startup humanitaire, avec le soutien de neuf bailleurs de fonds parmi les plus importants. Nous n'avons pas de personnalité juridique. Ici à Genève nous sommes hébergés par le Conseil norvégien pour les réfugiés qui est l'une des trois organisations membres du consortium qui a lancé ACAPS, avec Save the Children International et Action contre la Faim (ACF).

Pensez-vous que c'est un nouveau paradigme d'action humanitaire ?

Le secteur humanitaire explore de nouvelles pistes pour s'organiser. Des projets comme le nôtre donnent un cadre plus souple pour tester différentes idées qui soutiendront à leur tour les acteurs humanitaires plus classiques. Il y a beaucoup de nouvelles initiatives dans ce secteur, notamment Sphere, Humanitarian Accountability Partnership (HAP International), l'Observatoire des situations de déplacements internes (IDMC), Cash Learning Partnership (CaLP), Joint IDP Profiling Service (JIPS) et International NGO Safety Organization (INSO), pour ne parler que de ceux-là. Certains sont des projets, d'autres deviennent des organisations avec le temps et d'autres encore ont été intégrés dans des organisations plus importantes.

Je vois beaucoup de similarités entre ACAPS et les startups du secteur informatique par exemple. Nous avons le même genre d'enthousiasme. Nos modalités de croissance, la façon dont nous apprenons de nos erreurs sont très proches. Je crois que le secteur humanitaire a beaucoup à apprendre des autres secteurs. Bien que nous travaillions dans un environnement unique en son genre, le secteur humanitaire n'est pas fondamentalement unique du point de vue des organisations qui y évoluent.

Vous avez travaillé de nombreuses années pour le Mouvement de la Croix-Rouge. Quel regard portez-vous sur ACAPS par rapport aux acteurs humanitaires classiques? Lorsqu'on dirige un projet de ce genre, qu'est-ce qui change et quelles retombées en attendez-vous?

ACAPS joue un rôle de soutien pour les acteurs humanitaires car ce sont les gens qui travaillent sur le terrain qui sont nos clients. Pour que nous soyons certains de comprendre leurs besoins, tous les membres de notre équipe dirigeante viennent de l'opérationnel et tous ont passé 10 à 15 ans sur le terrain.

Comme nous sommes un projet nous avons davantage de souplesse pour innover et pour faire changer les choses très vite. Si quelque chose ne fonctionne pas, nous laissons tomber. Contrairement aux principaux acteurs humanitaires nous n'avons pas de mandat, mais nous avons des clients. On nous juge sur ce que nous produisons et nous répondons donc beaucoup plus vite aux besoins de nos clients. Nos principales activités sont financées par des donateurs, naturellement, et nous proposons gratuitement nos services aux acteurs humanitaires. L'année passée, 22% de notre budget étaient cependant constitués de la contrepartie financière de services fournis à des acteurs humanitaires comme le HCR et la FICR. Nous voulons garder un bon équilibre entre un financement stable et suffisant, et la vente de services payants qui constituent la preuve que nos services demeurent pertinents.

Qui sont vos bailleurs de fonds ?

Actuellement nous en avons neuf : le département Aide humanitaire et protection civile de la Commission européenne (ECHO), l'Agence suédoise de coopération au développement (SIDA), l' Agence canadienne de développement international (ACDI), le Bureau américain de l'aide en cas de catastrophe (OFDA) et le Département de développement international du Royaume-Uni (DfID) ainsi que le Danemark, l'Irlande, la Norvège et la Suisse. Nous cherchons à élargir notre base de donateurs à des donateurs non classiques et issus du secteur privé. Notre budget ordinaire est aux alentours de trois millions de francs suisses et notre effectif central est de 15 personnes en plus des 10 personnes travaillant spécifiquement sur la Syrie.

Comment interagissez-vous avec les organisations humanitaires internationales classiques qui ont leur siège à Genève tels OCHA, le HCR ou le CICR ?

Nous participons à diverses plateformes sous l'égide du Comité permanent interorganisations (IASC). Nous avons aussi conclu des accords bilatéraux avec certains acteurs comme le HCR, l'UNICEF et la FICR pour ne mentionner que ceux-ci. En bref, ils partagent leurs informations avec nous et nous leur fournissons des analyses, des cours de formation et des outils.

Un des traits les plus fascinants mais aussi les plus agaçants du secteur humanitaire, c'est le patchwork d'organisations qui le composent. Il y a un cœur assez bien organisé au sein de la famille IASC et puis il y a d'autres acteurs comme ACAPS, IDMC, JIPS et CaLP qui fournissent des services et sont source d'innovations pour ces grands acteurs.

Pourquoi avoir choisi Genève comme siège central ?

Genève est la capitale du secteur humanitaire, et tout naturellement le fait d'être basé ici permet à ACAPS de rester facilement en contact avec ses principaux clients. D'un autre côté, avec les restrictions imposées aux permis de travail, être à Genève signifie qu'il est difficile de recruter un personnel assez diversifié. C'est quelque chose qui me préoccupe beaucoup. 

 

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